Mont Elbrouz, le toit de l’Europe

“Elbrouz”, un mot loin d’être familier, qui sonne presque faux, pour une bonne partie des 740 millions d’habitants de notre vieux continent. Et pourtant, l’Elbrouz, c’est 5.642 mètres, et c’est le toit commun qu’on partage, le haut de la cheminée. J’ai toujours trouvé ça surprenant, j’ai toujours voulu voir ce à quoi ça pouvait ressembler. On est trois dans l’équipage et déjà presque essoufflés après une nuit complète d’attente au poste frontière de Kazbegi. En effet, le meilleur moyen pour un étranger d’arriver à Terskol, village départ de l’ascension, reste par la Géorgie (sinon, comptez 23 heures de route au départ de Moscou). Une fois sur place, le vrai challenge commence : trouver quelqu’un avec des bases d’Anglais, capable de nous aider à nous inscrire légalement au registre du parc National, et réserver les nuits en refuge un peu plus haut (Ksenia, merci pour tout !).

Premier vrai sommet pour tous les trois, en terrain inconnu, avec une expérience en altitude dérisoire ou presque, une incompréhension totale de l’alphabet cyrillique, et aucune idée de ce qui peut bien nous attendre dans les jours qui suivent. Mais heureux d’y être, pressés d’en apprendre un peu plus sur le sujet, sur nous-même, et sur tout le reste. La rando quoi !

La petite marche le long de la rivière Baksan qui mène vers Azau (2.300m) délimite la fin de la partie civilisée du périple : dernières habitations, derniers commerces et dernières nuances de verdures dans une sorte de mini station de ski à l’ancienne, comme on en trouve même plus en Auvergne. Et puis, ça commence à grimper gentiment, dans un décor un peu martien, à base de roches et de graviers, sous un soleil de plomb. Rien de très sexy, mais tout ce qu’on peut attendre d’un volcan qui fait la sieste. Ça continue comme cela jusque 3.720m avec l’arrivée au refuge de Garabashi, ses fameuses “Huts” cylindriques devenues presque aussi célèbres que ses toilettes (“les plus dangereux du monde” si l’on en croit la légende), et surtout, le début de la neige et du cramponnage.

La Russie, en tout cas par ici, c’est le système D, c’est une pépite naturelle que sa population refuserait presque de voir évoluer, surtout pas grâce au tourisme. C’est un retour dans les années 80 et on ne te remercie même pas d’être venu. Mais c’est du caractère, c’est de l’authenticité, de l’humilité et ça en fait tout son charme !

On pose nos sacs pour 3 nuits : 2 jours d’acclimatation, entre la convivialité des huttes et le dernier plateau, 700 mètres plus haut. On prend donc le temps de s’entraider et se mettre un peu dans le rouge en débuts de journées, puis de se poignarder dans le dos avec un jeu de 54 cartes l’après-midi. Si nous ne finirons certainement pas Roi de la chaine du Caucase, nous aurons été président chacun notre tour pendant plusieurs parties !

« Sur le plus haut trône du monde, un roi n’est jamais assis que sur son cul. C’est pourquoi la royauté, pour l’esprit, n’est rien. » Montaigne.
Soleil de plomb, pas de nuages en vue, vent minimal… On tente l’ascension lors de la troisième nuit. 1h à la montre, frontales, bâtons, piolet pour avoir l’air réglos, et on s’attaque au mur blanc qu’on devine à peine malgré cette pluie d’étoiles ! On finira par trouver notre rythme de croisière après quelques mises au point : marche synchronisée à travers une multitude de lacets enneigés qu’on se laisse la liberté de dessiner, le serpent est en route.

12heures aller-retour ! Une stèle au sommet, toute petite, qui s’excuserai presque de prendre un peu de place, et une vue imprenable sur tout le Caucase, qui vaut chacun de nos pas et même un peu plus. Et surtout, une amitié bien ficelée, comme entre trois potes qui se craqueraient une bière bien fraiche sur le toit d’un appart’ parisien un soir d’été, mais cette fois, toute en haut de l’Europe, bien au-dessus du dernier étage et de l’ancienne chambre de bonne !

Une Ode à l’amitié, à l’incertitude, à la découverte et à l’envie, comme il en existe un peu partout, mais jamais assez. On redescendra en T-shirt, avec un petit mal de crane et la discographie de Mobb Deep, Lomepal, Marvin Gaye et Oxmo, pour ne pas oublier pourquoi on s’entend si bien et pourquoi on a eu envie de s’évader ensemble. Le plus drôle dans tout ça, c’est de se rendre compte que le touriste se fait rare au sommet du continent le plus visité au monde…
 
Antoine Rogez