250km en courant et en autonomie dans le désert d’Atacama (Chili)

Stanislas Gruau, CEO & Fondateur d’EXPLORA PROJECT nous livre le récit d’un ultra-marathon qui figure parmi les plus difficiles de la planète.
La traversée du désert d’Atacama au Chili, sur 250 km. Cette course a étape se fait en 6 jours et en autonomie complète.

Jour -1, Samedi 29 Sept. 2019

Les 116 coureurs (36 nationalités) arrivent au Camp 1 en fin d’après midi après une vérification stricte des 36 objets obligatoires à avoir dans son sac. La course est en autonomie complète pour toute la semaine (exceptées tente et eau).

Les sacs les plus légers font 5.5kg et les plus lourds 14kg, le mien en fait 11kg.

Ambiance détendue et insouciante à la veille de la première étape !

Stage 1, Dim. 30 Sept 2019
Distance : 36km
⏱5h13’ – Place 17e
Place 18e / 120 au général

Départ 8h comme ce sera le cas tous les matins de la semaine. Excitation du groupe avant le départ, les 10-15 premiers partent en plein sprint, et des petits buissons épineux viennent déjà taillader les mollets dès la première minute.
Le souffle court. Nous partons d’un canyon au nord de San Pedro à 3600m d’altitude. Avec mon vol retardé, je n ai eu qu’un jor d’acclimatation. Pas assez.

Ne pas démarrer trop vite, ne pas démarrer trop vite, je me le répète en boucle !
9h15, premier Check point (CP). Une chaleur déjà a cette heure là !

Je fais le pacer à partir du 12ème pour Jacqui Bell(Australia) qui me le demande, elle veut gagner cette première étape et son rythme et un peu inférieur au mien donc cela colle à ma stratégie.

CP 2, nous pointons 20e et 21e. Je suis étonné je pensais que l’on serait 50/60e. Le niveau est donc atteignable à moins que chacun se réserve sur la première journée !

Malgré les assauts de Denise Le (China), nous résistons Jacqui remporte l’étape.

Aujourd’hui j’ai compris 3 choses :

– le défi va être alimentation / eau / sodium pour éviter crampe et déshydratation. Un véritable challenge car j’ai souvent du mal avec la chaleur. J’ en ai eu les premiers signes dans les 5 derniers km de zigzag dans le canyon sous 35 degrés sans vent et dans le sable mou.
– le terrain sera technique ce qui est un avantage pour moi qui suis léger et rapide.
– je pourrais faire un top 25 cette semaine si je suis sérieux !

Stage 2, Lun. 1er Oct. 2019
Distance : 38km
⏱5h49’ – Place 16e sur l’étape
Place 16e / 120 au général

Le pitch ce matin est clair, nous allons voir qui est allé trop vite hier ! Les mines sur le village sont moins enjouées que la veille .. comme un lendemain de marathon finalement

En gros, 40k au programme avec :
.10km de pierriers roulant
.10km de course en canyon/rivières jusqu’aux genoux
.10km de montagne / grimpette dans la Vallée de la
.10km de désert et de dunes

Ça promet ! Une étape diversifiée et technique !
La nuit a été fraîche pour tout le monde mais encore trop chaude pour moi, les coups de soleil de la veille se rappelant à mon bon souvenir malgré l’écran total 50…

8h. Ca part vite à 12-13km/h pour les 30 premiers du classement, je suis surpris. Je reste dans le train et remonte petit à petit des places tout au long de cette première portion qui se court pour la plupart des tronçons. Nous partons en tête de notre petit groupe avec @rob (UK).
10 Minutes plus tard en suivant un petit chemin entre les blocs de pierres nous réalisons que nous avons perdu les marqueurs roses et que nous ne sommes que tous les deux.. nous pensions que c’était grâce à notre coup de rein .. c’est en réalité car nous avons perdu la trace..
Nous retrouvons la troupe un peu plus tard après être revenus sur nos pas et arrivons tous en groupe au CP1 au bord de la rivière.
Il faut tout recommencer ! Après une première traversée de la rivière bien fraîche avec de l’eau au dessus des genoux je réalise que l’inertie du groupe les uns derrière les autres ne va pas me convenir, je préfère foncer hors du chemin mais dans la bonne direction quitte à prendre un peu plus de risques parfois et à être beaucoup plus mouillé !

Après une bonne heure dans le lit de la rivière je suis seul probablement 15 à 20e de l’étape et le soleil commence à taper très fort. Arrivé au CP 2 après une escale technique à l’ombre d’un cactus je suis en effet 15e et je suis prêt à attaquer les côtes de la vallée de la mort.

Des cônes ocres dressés tout autour du chemin, une épaisse poussière remuée et stagnante dans l’air brûlant. Je me parle tout haut pour me motiver. “Ne change rien mon gars, c’est ça qu’on veut voir, tu cours bien, c’est ÇA!!” (la fin se fait systématiquement en hurlant). La pente est à 10% au moins. Les virages s’enchaînent. Ne pas oublier de boire souvent, manger un peu.

Le paysage est tellement saisissant dans son enchaînement de couleur ocre désert sous mes pieds, vert d’oasis au loin, et les montagnes enneigées au fond. Je m’essaye à quelques vidéos.

Je marche vite, mais le souffle est court, nous arrivons bientôt à 3400m le point culminant de la semaine au somment de cette immense dune de sable de 400m où je retrouve Andrei Alexandru Gligor(Romania) le 14e un peu à la peine sous cette chaleur écrasante. Nous dévalons ensemble cette dune de sable où 1kilo de sable fin envahisse chacune de mes chaussures. Clairement mon équipement n’est pas au point sur les guêtres ! J’ai pris des guêtres de trail pour cailloux au lieu de prendre des guêtres de sables type marathon des sables..

La descente de cette dune est un vrai moment de grâce ! Je n’avais jamais fait ça de ma vie ! Pas un bruit, le sable chaud sur les mollets, un tableau grandiose devant les yeux et une décente frénétique, inarrêtable, haletante.

Arrivé au CP 3 en bas de la dune je dois vider la plage de mes chaussures ce qui donne l’occasion à mon ami Andrei de filer. Je vois arriver Chris Moreton et Hannah Louise Walsh à toute allure.
J’avais dis à Hannah ce matin qu’elle gagnerait l’étape, je l’avais vu arriver 3ème la veille et beaucoup plus en forme que les premières. Nous finirons tous les 3 pour arriver 15-17ème après une belle journée chaude mais variée et qui continue de me mettre en confiance pour la suite !

Demain on attaque : “banzaï !!”
Stage 3, Mar. 2 oct. 2019
Distance : 39km
⏱6h29’ – Place 18e
Place 17e / 120 général

Ce soir nous aurons fait la moitié du kilométrage de la semaine. Je me sens en forme, j’ai pour objectif de finir dans le top 15 en fin de semaine, alors aujourd’hui on va essayer de pousser un peu la bête !

Lors du briefing de course on nous sensibilise à l’hydratation aujourd’hui. Hier on a enregistré 47 degrés c dans l’ascension de la Vallée de la Mort et beaucoup commencent à voir des crampes régulières et en série, signe de déshydratation.

L’étape d’aujourd’hui est apparement la plus difficile, après 10km roulant, s’enchaînent 10km de Salt Flats puis 20km de désert de dunes de sable fin.

Mon sac est plus léger, je suis passé de 11kg à 8.5kg en 2 jours avec principalement de l’optimisation de matériel, et un largage de barres sucrées et gels en masse que je n’arrive pas à manger en journée à cause de la chaleur. Le soir au camp j’ai envie de salé. J ai pu troquer quelques barres contre une ration de salé auprès de “Marquihno” (Switzerland). Idéalement il me faudrait 2 rations de salé chaque soir, une vers 14-15h à l’arrivée de la course et l’une vers 18-19h avant de se coucher. Il me faut environ 3000 calories par jour. Et je suis venu avec 800cal de porridge le matin et 800 pour le dîner donc un peu juste .. On brûle entre 4 et 7000 par jour. Ce sera le cas pour le reste de la semaine à grand coup de troc, yeux doux et récupération dans les objets trouvés …

8h. Ca part beaucouuup trop vite ! Et je me sens forcé de rester dans le train. 14kmh dans ce désert de terre sèche à slalomer entre les mini cactus, les blocs de sel ressemblant à du corail coupant et les arbustes. J’arrive 11ème au CP 1… mais je me sens en forme alors je continue bon train. Les 5km qui suivent sont sur une route asphaltée – qui m’avait échappé au briefing – je pousse encore la machine mais ne parvient pas à rattraper 周林信 (Jason Chou) le 10e. Le rythme est très soutenu.

Mon nez commence à saigner, j’ai l nuque brûlante, je ne bois pas assez et je n’ai rien mangé. 2h30 de course. J’ai fait n’importe quoi, concentré sur le terrain, le rythme et le classement, j’en ai oublié l’essentiel. Se protéger du soleil, boire et manger. Je sais que le calvaire ne fais que démarrer.

Je m’arrête au CP2 5-6 bonnes minutes, je bois 1litre, me force à manger une barre. Les gens passent. Ash Mokhtari, Denise Le, Chris Moreton.

Me voyant, Ash me dit “garde du jus pour la suite, ca va être dur aujourd’hui.” Hummm.
Je repars pour une portion ultra technique de traversée de “Salt Flats”, des plaques de terre et sel séchés qui craquent ou pas lorsque l’on met le pied dessus et qui peuvent parfois cacher un trou de 30 cm pleins d’eau salée… un vrai concept Made In Atacama Chile ®️

Je parviens au CP3 je ne sais trop comment, avec les mollets entaillés car j’ai pratiqué la méthode du tout droit, étant donné mon état de fatigue. Je m’arrête au CP 3 pour vider la plage de mes chaussures et pour soigner mon nez qui se remet à saigner. J’ai besoin de cool down avant d’attaquer les 15 derniers km de dunes. Je ne me sens pas bien.

Le prochain groupe arrive au loin. Ils doivent être 5 au moins, je repars.

L’heure qui suit est trouble dans ma mémoire. J’ai chaud, je vois comme des mirages sur le sable avec la chaleur, je crois voir le CP 4 des dizaines de fois. J’ai chaud. J’ai envie de vomir. J’en ai marre. Quelle journée de merde. Je ne vois plus les marqueurs roses. Je me suis perdu. Quel CON !

Bientôt le groupe de derrière me retrouve je suis marchant – titubant à une centaine de mètre de la trace. Rob (UK) m’appelle. Je suis soulagé de ne plus être seul.

Je passerai les 2h qui suivent à me plaindre mais ce groupe m’a finalement remis dans le match et j’ai pus reprendre un rythme intéressant. Nous finirons même sur une note plus rapide pour permettre à Hannah Louise Walsh de garder son dossard de Leader Woman mais malheureusement pour elle Denise (China) a été plus rapide aujourd’hui !

Une journée un peu cata. Des ampoules aux 2 talons à cause du sable dans les chaussures et une stratégie de course deplorable. Démarrer vite pour exploser en mode Angry Bird, non merci ! Demain on réfléchit et on attaque dans la deuxième partie de la course quand la plupart ne fait que marcher.

Stage 4, Mer. 3th Oct 2019
Distance : 47km
⏱7h10’ – Place 14e
Place 15e / 120 au général
Aujourd’hui j’ai envie de faire quelque chose. L’après-midi d’hier au retour de la course et la soirée au milieu de ces dunes ont été super. Le groupe commence à bien se connaître et on se marre bien. Je me suis rapproché des frenchies qui ne sont pas dans ma tente (Christophe Santini le défonceur de classement, Sifedine le gangster des baskets, Yves le renard du désert et Dom Monsieur Berkeley). Ils m’ont en plus dépanné d’un bon plat de pâtes et de quelques soupes pour calmer mon insatiable appétit.

Je me remets très vite de l’épreuve de la veille. Après une toilette de chat, un plat de pâtes et une sieste je pourrais repartir immédiatement. Je me sens de mieux en mieux et la tendance sur le camp est plutôt inverse. Alors, va falloir le prouver par les faits Gamin !

8h. Je pars dans les 40-50e, je trottine, je me force à oublier le classement, je regarde le paysage, je vois de nouveaux visages, je passe un bon moment dans ces immenses dunes où l’accélération requiert beaucoup d’effort pour peu d’écart gagné. J’ai donc en effet du mal à oublier le classement.

Beaucoup de sable dans les chaussures sur cette première portion d’une dizaine de kilomètres. Je m’arrête 2 ou peut-être 3 fois pour enlever guêtres, chaussures et vider le sable. C’est pénible car cela me rappelle constamment à mon manque de préparation.

CP 1, 12km, 39e. Je bouillonne un peu mais n’oublie pas la stratégie du jour, démarrer tranquille pour finir en banzaï !!!!! La petite oasis puis le Pueblo que nous traversons me rappellent que c’est bien la fin des dunes de sable donc de la logistique galère pour le reste de la journée, un bon point. Je me sens bien. J’accélère doucement sur l’asphalte du village où je croise Ash Mokhtari (10e Atacama Crossing, 24e course Racing The Planet) qui cherche des dollars pour acheter du coca à l’épicerie du coin, ce qui est formellement interdit par le règlement, mais bon il n’est plus à ça près, après ses pénalités pour « non port d’une chemise technique ». Il est toujours là pour détendre l’ambiance au milieu de ce mini-drame quotidien. (Et il court vite par dessus le tout)

Je ne me souviens plus de grand chose jusqu’au CP2 si ce n’est que j’étais en train de rentrer dans ma bulle, je ne cessais de me répéter, « c’est bien tu ne fais aucune erreur, personne ne le sait mais tu fais la course parfaite », l’auto conviction c’est beau !!

J’avalais mes capsules de sel que Jamie (Canada) et Ben Seymour (NZ) – ancien joueur de pro d1 de rugby – m’avaient donné. Toutes les heures. Pour prévenir les crampes. C’est extra, j’aurais du en apporter. Ça permet de continuer à avancer sans crampe même si on arrive à rien avaler de solide pour résumer. Assez utile dans le désert.

Entre le CP 2 où je pointe 28ème et le CP3 ou je pointe 21ème nous avons eu quelques embûches. Beaucoup d’abandons, des chevilles cassées (Sam le champion) et de la déshydratation principalement. Le terrain est très chaotique, le retour des Salt Flats et des portions impossible à courrir car les plaques de sel sont tellement dures qu’elles en deviennent coupantes.

Au CP 3, je sais que la stratégie va fonctionner. Je suis en pleine forme, je remplis mon camelbak et mes gourdes à toute vitesse car nous sommes “obligés d’avoir 2.5 L pour cette portion longue et très chaude et difficile et …” . Je m’éloigne déjà car je sais que c’est maintenant. Je ne vois presque personne courir non stop, tout le monde run-walk en alternance pour ne pas surchauffer.

Je cours aussi vite que je peux, je ne m’arrête pas. Encore 20km. Déjà 30km derrière. Je rattrape Denise Le la 1ère fille sur l’étape et au général, 周林信 (Jason Chou), Greg Nance, Chris Moreton, YoungRok Kim. On fait le petit train pour un temps. Mais aujourd’hui je me sens imbattable.

J’ai cette rage contrôlée jusqu’au bout des pieds qui me fait avancer à 13 ou peut être 14km/h. Je fais quelques vidéos car le paysage est époustouflant, je sens l’émotion monter car je m’imagine m’adresser à Constance et Castille avant tout.

Il faut horriblement chaud, je passe mon temps à me verser de l’eau sur la tête.
CP 4, je suis 15e et le 14e remplit ses gourdes. Personne d’autre en vue. Le cameraman m’interviewe rapidement, je me souviens avoir dit que c’était la portion la plus difficile de toute ma vie en course à pied. À ce moment là, c’était vrai. Aujourd’hui je dirais que c’était la portion suivante et finale de 10km jusqu’au camp…

La route partiellement asphaltée était roulante mais brûlante. Je n’avais plus beaucoup d’eau. On voyait le camp depuis très loin mais en réalité il fallait faire de nombreux détours pour y arriver.

Je continuais de courrir comme un fou, je serrais les dents très fort, je soupirais-soufflais-sanglotais dans un doux mélange électrique bourré d’émotion et d’adrénaline dont seuls les ultra-marathons ont le secret. C’est pour cet instant là que je suis venu au Chili. C’est cet ADN que je souhaite mettre en Explora Project.

Les tambours résonnent, et leur lot de whouhou ! Awesome ! ne tarde pas à suivre. Je filme l’arrivée, je pleure, la pression retombe, quelle joie, je finis 14e en plein sprint. Quelle jouissance !
Stage 5, Jeu. 4 Oct 2019
Distance : 80km
⏱11h54’ – Place 10e
Place 12e / 120 au général

C’est le grand jour.

Les visages sont réellement nerveux ce matin. Les pieds sont pour la plupart très mal en point et l’état de fatigue général est avancé. Nous savons tous que nous allons laisser nos dernières forces dans cette journée qui pour les derniers durera 27h…

80km après une telle semaine semble un mur infranchissable, mais en réalité si on regarde bien, c’est un escalier de 9 marches (8 CP aujourd’hui) d’environ 8-10km chacune. Diviser la distance en portions intelligibles est clé. Je me sens en pleine forme. J’ai vraiment hâte. Je suis confiant car je sais que ça va être au mental et à ce jeu là, je suis plutôt dur à cuire.

Les écarts aujourd’hui peuvent être importants, les 20 premiers arriveront avec près de 4h d’écart. Autrement dit, démarrant 15e au général cette étape je peux finir 12ème comme 20ème. Entre le 13 et le 12ème il y a un gap d’1h30 donc ce sera difficile de faire mieux que 12e quoi qu’il arrive.

8h. Départ tranquille dans les Salt Flats pour 2 portions de galère. Les pires Salt Flats de la semaine car très marécageux. De l’eau stagnante puante au genoux sur certaines portions, de quoi lancer la journée !!

J’ai envie de revivre ma transe d’hier sur le finish et pour cela je dois choisir le bon moment pour attaquer. Les 20 derniers km me semble raisonnable. En 20km à fond si tout le monde marche – ou presque – je peux faire des dégâts.

Bref, commençons par trouver un groupe de champions avec qui se caler pour économiser de l’énergie (orientation, vitesse, endroits où passer, rappel de boire ou manger ou prendre les pastilles de sel, relance de course après les côtes marchées, discussion pour oublier la course sur les portions ennuyantes, etc ..). Bref, en Ultra on est meilleur en groupe pour la majeure partie de la course. C’est un fait.

Un petit groupe de 5 se forme naturellement à partir du CP 1. La sélection ne doit être que sur l’allure de course. Hichame Moubarak(France), Ben Seymour (NZ), YoungRok Kim(Korea), Lara Reynolds (SAF) et bibi. Au CP 2 Hichame et Ben partent vite et continuent sur un rythme à peine plus soutenu. Nous ne les perdons pas de vue. Nous papotons avec Lara pour tuer le temps tout en gardant un rythme régulier et plutôt rapide. Nous pointons 25e environ au CP 2 je crois. YoungRok Kim est silencieux, il apprend l’anglais il soupire et se plaint en Coréen mais toujours avec le sourire qui dit :”je suis quand même content d’être là avec vous”. Il est super attachant alors on le pousse à ne pas lâcher et à coller au train.

Lara est la 1ère féminine sur l’étape et 3ème au général derrière la leader Denise Le(China) et Hannah Louise Walsh(UK). Je commence à être spécialiste en victoire d’étape féminine (Jaquie le 1er jour et Hannah le 3ème) alors je lui commence à lui mettre la victoire en tête. Mais allez savoir comment, avec un niveau pareil, Lara n’est pas du tout compétitrice ! Elle me dit qu’elle s’en fout, 1ère ou 4ème peu importe ! Ça c’est au 30eme kilomètre… nous doublons environ 5-6 personnes en surchauffe qui sont partis trop vite et qui subissent l’enchaînement des dunes à à franchir.

Nous attaquons une belle dune de sable de plusieurs centaines de mètres de haut mais ce coup ci.. à la montée ! Un véritable exercise de cardio, les pieds s’enfoncent et le sable est très fin. La descente est technique, pierreuse et glissante. Nous arrivons au CP3 tous les 3 avec en prime une canette de coca offerte par l’orga .. wouhou! Awesome ! (…)

Nous courrons depuis 5-6h, il est 13-14h et le soleil tabasse les crânes. Nous nous mettons d’accord pour faire 2h de walk-run (jusque 15-16h) pour ne pas surchauffer. 10 min de course, 5 min de marche rapide. Le terrain est désertique type lit de rivière asséché quai plat pour les 30 prochains km.

Le temps commence à être un peu long. Lara embraye avec des questions politiques : “pourquoi en ce moment vous n’aimez pas Macron en France ?” Je me livre à un condensé de Benala, politique de droite anti sociales, démission des ministres clés, pour finir par dire que je le soutiens toujours pour ma part surtout quand il se positionne anti-Trump à La Tribune de l’ONU. On s’accorde la dessus. Lara relance sur la politique commerciale chinoise. On fait rentrer YoungRok Kim dans le débat. Il n’est pas bien. Il n’a plus beaucoup de jus dans les jambes, il ne lève plus suffisamment les pieds.

Nous arrivons au CP4 où nous avions prévu de s’arrêter 12min pour un repas chaud lyophilisé. C’est le seul CP avec de l’eau chaude. Nous sommes à mi-course. 40km. Faire un vrai break était le conseil d’Hichame, un excellent conseil. Nous sommes logiquement rattrapés par une dizaine de personnes qui ne s’arrête que 3 min pour remplir les gourdes… garder la tête froide, continuer à manger, ça payera dans quelques heures ! YoungRock Kim repart déjà sans manger il souhaite prendre de l’avance car il dit ne pas pouvoir courrir comme nous… aie aie aie je dis erreur tactique du coréen !!

Victoria Connelly(UK) aka the “crazy walker” nous double également. Lara fait une moue retenue mais agacée. Silvia, vainqueur du Spartatlon (!!!) passe également sans s’arrêter. Sans est trop pour Lara qui se prépare à repartir. Elle rentre dans la compétition! On va se marrer ! J’ai avalé 800 cal d’Asian Noodles Expedition Foods, je suis calé. La digestion nous pousse à continuer 45 min de course et marche alternée.

Arrivés au CP 5 (50km) nous pointons 19 et 20ème. Je sens Lara plutôt en forme mais elle ne respecte plus les temps de course marche que je fixais depuis le début. Je l’entends derrière moi s’arrêter de courrir avant mon signal. Alors je m’arrête également. Il faut la soutenir encore car pour l’instant elle ne gagne ni l’étape ni le général. Il lui faut au moins 30 min d’écart avec Denise Le qui est derrière mais peut être juste à 5min. Victoria juste derrière Lara au classement peut lui passer devant si on ne la rattrape pas. Bref, job is not done, je ne me sens pas de la laisser ici après ces quelques 8-9h de course et de stratégie commune. J’ai encore du jus alors je sais aussi que l’on ne finira pas ensemble.

“Lara si tu me suis et que tu sers les dents tu vas gagner l’étape mais surtout tu vas gagner Atacama”. Je lui montre pas un calcul rapide que les jeux sont faits si elle se remet a courir. Les 10 prochains km ont été pénibles pour elle. Elle commence à me dire d’y aller et de la laisser. Je refuse et elle se sent forcée de me suivre. Il est de toute façon pour moi trop tôt pour attaquer. Alors notre rouleau compresseur se met en place, nous redoublons tous les compétiteurs les uns après les autres, Lara repasse première femme à l’entrée de la Valle de la Luna et nous pointons 17 et 18e au CP 7, l’avant dernier, km 60.

Après la grande côte que nous faisons en marchant rapidement je sais que nos chemins se séparent ici, Lara est au bout, elle est épuisée, elle ne veut plus courir et même en haussant le ton, cela n’y fait rien. Elle me promet qu’elle gagnera l’étape et qu’elle “courra sur le plat et en descente et marchera vite en montée”. Nous rattrapons une paire de suisse, Daniel et Christopher à qui je confie Lara.

Je détale comme un lapin à 14km/h. Mon sac est léger, il fait plus frais, il fait encore jour, je vais arriver avant la tombée de la nuit, j’ai des fourmis dans les baskets, 18km et je règle son compte à cette étape. Scénario idéal. Je ne m’arrêterais plus de courrir jusqu’à la ligne d’arrivée, quel que soit le dénivelé. Moyenne de 12.6km/h sur cette ultime portion. Je finis 10ème. Je ne peux rien décrire sur cette portion car c’est bien trop intime, un nouveau moment de transe, d’extase, de grâce. Je salue Hichame, Ben, Jason, Marco et Jamie. Je suis super heureux mais bien trop pressé pour le leur dire maintenant.

Je n’ai aucun regret aujourd’hui. Le faux plat montant de 5km avant l’arrivée avec fort vent de sable de face m’a secoué et je ne pense pas qu’il aurait fallu attaquer plus tôt.

J’arrive 10eme en moins de 12h, soleil rasant, mon meilleur classement de la semaine. Je fais un petit bon au général de la 15e à la 12ème place.

Lara, 48ans & 3 enfants, arrivera première femme environ 15min plus tard et remporte Atacama 2018. Elle a rattrapé Ben et Hichame et finit avec eux. Une magnifique performance. Bravo !
Stage 6, Sam. 6 Oct. 2019 – Dernière étape !!
Distance : 13km
⏱1h01’ – Place 3ème !
Classement Final : Place 12e / 120 au général

Après une journée de repos le vendredi avec assez peu de choses au programme pour être honnête (si ce n’est un concert de nos amis chiliens du camp), nous voilà prêts pour la dernière ligne droite !

13km de désert jusqu’au village de San Pedro et à la bien méritée ligne d’arrivée de cette folle semaine. 1h me sépare du 11e et du 13e dans quoi qu’il arrive le classement ne changera pas pour moi…

J’ai quand même envie de monter sur le podium au moins une fois cette semaine et je sais que j’ai les jambes pour essayer ce matin ! Le terrain sera du sable plutôt mou donc pas si évident à courir vite, on va y laisser beaucoup d’énergie, je le crains …

Les 30 derniers du classement partent à 7h pour que l’arrivée soit plus ou moins groupée.. nous partons donc à 8h avec la hargne de la dernière ligne droite !

La stratégie est très basique, partir avec les 2 premiers en mode missile et m’accrocher à leur slip aussi longtemps que possible ️‍♀️

Comme prévu je me retrouve derrière Wong Ho Chung (HK,1er au général) et Takuya Wakaoka(Japon, 2eme au général) et nous tenons un rythme de 14 peut être 15 km/h pendant 5-6km. L’effort est pour moi surhumain, les pieds s’enfoncent et les bosses de sables à passer cassent le rythme. Je souffle fort et ma gorge me brûle. Me retrouver à 3 avec eux qui ont dominé toute la (avec le français 3e du général Christophe Santini) est quelque part un honneur. Je me sens privilégié de partager ces instants avec eux. Ils sont silencieux et me diront à l’arrivée que je l’étais beaucoup moins

L’écart avec les 4-6e est stable, environ 500m, et je ne vois plus les autres derrière.

Wong Ho Chung le 1er , qui a littéralement survolé la semaine à l’air énervé d’être toujours suivi et relance un accélération insuivable, alors que le rythme de notre trio avait quelque peu ralenti. Ils nous dépose sur place et finira 3 Minutes devant à l’arrivée ! (C’est beaucoup sur les 6 km qu’il nous reste à ce moment là …)

L’écart entre Takuya et moi se creuse très doucement, pour se stabiliser à 100m environ.
J’accuse le coup des 25min anaérobie en cardio de la mort. Je sais que je vais repartir mais il me faut récupérer sur 1km ou 2.

Les 3 qui me suivent se rapprochent, eux aussi veulent un podium on dirait ! Je repars à l’attaque de Takuya alors que l’on arrive sur une route goudronnée marquant les 3 derniers km et l’entrée dans le village. Ça y est j’ai récupéré mes jambes, je cavale tant que peux, nous dépassons les “marcheurs” qui sont partis une heure avant nous.

C’est dans les tous derniers virages que je revois Takuya qui jette des regards nerveux pour voir où je suis. Trop tard pour le reprendre, je suis super satisfait de ce podium d’étape et heureux d’en finir aussi !

Une belle semaine, pleine d’émotions, de rencontres, de moments d’effort partagés.

Une nouvelle rencontre avec moi-même, avec le sens de mes actes, le sens de ma vie!

Ces moments là, je m’engage à vous les faire vivre avec Explora Project.
Par Stanislas Gruau, Fondateur & CEO Explora Project